De géant endormi à superpuissance militaire

By Kai Balder, Manfred Hader, Eric Kirstetter and Leonardo Bonetti

L'Europe se trouve dans un contexte de menace existentielle. Bien que les budgets de défense du continent soient en hausse, une dissuasion durable nécessite davantage que des ressources financières : elle exige une approche holistique adaptée à l'évolution des paradigmes de la guerre. Dans un nouveau rapport, Roland Berger examine comment l'Europe peut renforcer ses capacités industrielles et stimuler l'innovation, en mettant en évidence les domaines prioritaires pour les acteurs publics et privés.

Depuis l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014 et son invasion à plus grande échelle de l'Ukraine en 2022, l'Europe est confrontée à la plus grave crise sécuritaire depuis la Seconde Guerre mondiale. Parallèlement, l'affaiblissement de l'alliance transatlantique a poussé l'Europe à réévaluer sa posture en matière de défense, ce qui a donné lieu à des investissements majeurs et à des plans ambitieux tant nationaux, qu'internationaux.

Le nouveau gouvernement allemand, a ainsi obtenu l'approbation d'un programme d'investissements dans la défense financé par l'endettement, tandis que la France envisage un budget de défense pouvant envisage de porter son budget de défense à 5 % de son PIB et que le Royaume-Uni vise à atteindre 2,5 % du PIB d'ici 2027. Le plan « Réarmer l'Europe/Préparation 2030 » de la Commission européenne pourrait également mobiliser jusqu'à 800 milliards d'euros.

La situation actuelle de la défense européenne

En termes d'effectifs militaires et de plateformes opérationnelles, l'Europe (27 États membres de l'UE, plus le Royaume-Uni) reste une force considérable par rapport à la Russie et aux deux plus grandes puissances militaires mondiales, la Chine et les États-Unis. Néanmoins, nous pensons que l'Europe doit s'améliorer dans sept grands domaines afin de renforcer ses capacités de dissuasion. Il sera essentiel de s'attaquer à ces domaines pour garantir la sécurité, l'autonomie et la préparation du continent. Ces domaines sont les suivants:

1. Coopération européenne en matière de défense
2. Investissement dans l'innovation et la R&D
3. Échelle et capacité industrielles
4. Effectifs des troupes
5. Adaptation à l'évolution de la guerre
6. Accès aux catalyseurs stratégiques
7. Résilience sociétale

Face à un large éventail de menaces

La guerre évolue rapidement. L'Europe est aujourd'hui confrontée à un large éventail de menaces, allant de l'agression militaire conventionnelle aux tactiques hybrides et au chantage coercitif, qui compromettent toutes la sécurité et la stabilité du continent. Ces menaces soulignent la nécessité urgente pour l'Europe de sortir de « l'ancien monde » et d'entrer dans le « nouveau monde », qui complète les capacités de défense existantes par de nouvelles capacités alignées sur le paradigme moderne de la guerre.

Plusieurs facteurs clés faciliteront cette transition. Il s'agit notamment de l'amélioration des capacités numériques dans des domaines tels que l'IA et les systèmes sans pilote, d'une plus grande agilité industrielle pour augmenter rapidement la production, de processus d'approvisionnement plus rapides et d'une intégration civile et militaire accrue.

Comment renforcer rapidement les capacités de défense

Dans notre dernier rapport, nous définissons le « seuil de dissuasion » comme un objectif de production qui reflète la capacité industrielle nécessaire pour maintenir et renouveler les équipements de défense de l'Europe.

S'appuyer exclusivement sur la production militaire traditionnelle est coûteux, long et comporte un risque de surcapacité une fois la crise passée. Nous explorons plutôt un cadre hybride qui combine quatre voies différentes :

• Augmenter les capacités de production en « temps de paix » afin de disposer d'une base de référence lorsque les tensions sont faibles.
• Investissements ciblés dans les actifs de production afin de moderniser les lignes existantes, permettant une augmentation rapide de la production.
• Cibler les industries civiles pour l'externalisation afin de résoudre les goulets d'étranglement de la chaîne d'approvisionnement.
• Développer la production grâce à des équipements « intelligents, abordables et évolutifs » qui s'adaptent et se mettent à jour en permanence.

Comment atteindre « le seuil » de dissuasion

La mise en œuvre de ces voies nécessite une coordination efficace entre les multiples parties prenantes, compte tenu notamment de la complexité du processus décisionnel qui s'étend aux niveaux national et paneuropéen.

En réponse, nous proposons trois recommandations pour chacun des trois principaux groupes de parties prenantes : les décideurs politiques et les agences militaires européens, les acteurs de l'industrie de la défense et les acteurs extérieurs à l'industrie de la défense. Ces recommandations visent à renforcer la coopération, à remédier aux contraintes qui subsistent en matière de capacités et à garantir un seuil de dissuasion durable, tout en tenant compte des réalités industrielles et politiques actuelles de l'Europe.

Perspectives : une dissuasion durable est possible

Négliger la dissuasion militaire n'est plus une option – l'Europe doit renforcer ses capacités de défense dès maintenant.

La bonne nouvelle ? L'Europe dispose à la fois des moyens et du potentiel nécessaires pour relever ce défi. Le temps presse, mais si les États membres parviennent à mieux coordonner leurs efforts nationaux, la base industrielle pourrait se développer plus rapidement que prévu.

L'histoire montre que l'Europe est toujours sortie plus forte des crises majeures. Grâce à son unité, à sa détermination et à une vision stratégique claire, le continent peut à nouveau jouer un rôle moteur dans le domaine industriel et jeter les bases d'une dissuasion durable.

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