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Transition écologique de l’aviation – le rôle des équipementiers

Transition écologique de l’aviation – le rôle des équipementiers

11 septembre 2023

Dans le cadre de ses études et projets sur l'environnement dans l'écosystème de l'aviation, Roland Berger mène une série d'entretiens avec celles et ceux qui construisent le futur écologique de l'aéroportuaire. Notre interview avec Maxime Mahieu, CEO de Smart Airport Systems, division du Groupe Alvest (TLD).

(entretien réalisé en juillet 2022)

Portrait of Maxime Mahieu

Maxime Mahieu

CEO, Smart Airport Systems, Groupe Alvest

Qui êtes-vous, quel est votre parcours ?

J'ai rejoint la société Lebrun à la sortie de mes études d'ingénieur, une société de réfrigération. Son fondateur Bruno Lebrun fut l'un des premiers concepteurs du compresseur frigorifique dans le monde à la fin du 19ème siècle aux côtés de Frick (Etats-Unis) et Sabroe (Danemark). La société a été reprise par Westinghouse dans les années 1960, puis dans les années 1990 par ma famille.

En 2003 j'ai repris la direction opérationnelle de l'entreprise. Au hasard d'un diner, un pilote de la Sabena m'a indiqué qu'il utilisait systématiquement l’APU pour conditionner leurs avions au sol – ce fut le point de départ de Lebrun dans l'aviation.

Nous avons ensuite intégré notre compétence en réfrigération industrielle dans un produit pour l'aviation comme nous le faisions dans l'industrie pharmaceutique, pétrochimique ou agroalimentaire – notre secteur d'origine – il y a des flux, du brassage d'air, des contraintes d’humidité forte et de givre…

Quelles solutions développe SAS?

Chez Lebrun, en 2004 KLM fut la première compagnie à nous faire confiance et nous avons lancé un premier prototype d'ACU créant le lien entre la température en cabine et la performance de l'équipement, ce que ne faisaient pas du tout les concurrents.

Lebrun a ensuite été acquise par le Groupe Alvest en 2018, dans le but de créer la division Smart Airport Systems. Celle-ci rassemble nos solutions de substitution à l’APU, le TaxiBot et le TractEasy (tracteur bagage autonome). Nous continuons à développer des solutions de froid industriel sur mesure, ce qui nous permet de tester continuellement les nouvelles technologies en matière de réfrigération pour les intégrer à nos produits aéroportuaires.

SAS est la seule société au monde à promouvoir 3 solutions labellisées Solar Impulse par Bertrand Piccard et qui permettent de réduire la pollution tout en présentant un intérêt économique et une viabilité financière.

L’énorme avantage de nos solutions (en particulier l’APU OFF et le TaxiBot) c'est qu'elles génèrent des coûts négatifs aux compagnies aériennes.

Quelle est votre vision du rôle de l'aéroport en matière de décarbonisation ? Et plus largement en matière de responsabilité environnementale, sociale et de gouvernance ?

Récemment, j'ai pu voir de nombreux changements dans la manière dont les aéroports approchent la décarbonisation. La pression est telle que les plateformes ont commencé à adopter de réelles stratégies vertes. Certains aéroports mettent désormais les moyens et poussent à l'adoption des bonnes solutions techniques.

Il n’en reste pas moins que certains aéroports (souvent privés) continuent à privilégier leur balance sheet plutôt que leur bilan carbone.

Aujourd’hui, la manière la plus simple et la moins onéreuse d'économiser du carburant (jusqu'à -10%) c'est au sol : la quantité de CO2 que l'on peut réduire au sol est donc significative. La particularité de nos solutions, c'est qu’elles sont neutres financièrement, voire même à coût négatif.

Nous ciblons uniquement le coût de la turbine au sol (que ce soit l’APU ou les moteurs principaux) : le carburant consommé, la maintenance et désormais le coût du CO2 – quasi nul à ce jour car les compagnies ont perçu des certificats ETS à coût presque 0, mais leurs stocks s’épuisent et le coût du CO2 monte en flèche. Les coûts des APU et des moteurs avions ne vont donc qu’augmenter.

Nos solutions Zero Ground Emissions garantissent des économies aux compagnies et une étape significative vers leurs objectifs de décarbonisation.

Quelle(s) initiative(s) environnementales avez-vous lancée(s) dans votre gamme de produits et services ?

Tout ce que l'on fait chez SAS est lié à la réduction des émissions au sol.

Outre la substitution à l’APU et aux moteurs lors du roulage, TractEasy est notre solution électrique et autonome de tracteur à bagage qui permet de fluidifier les process et de réduire les flottes de tracteurs. Le fast charging permet aujourd'hui d'avoir des taux de disponibilités très élevés.

En termes de réductions d’émissions, nous avons généré chez SAS un gain équivalent à 250 000 voitures en 2022 et nous avons l’ambition de dépasser 1 million en 2023.

Comment avez-vous financé cette/ces initiative(s) ?

Le Groupe Alvest et nos partenaires financiers nous donnent les moyens de nos ambitions, ce qui nous permet d’investir massivement dans le déploiement de nos solutions, en particulier sur le TaxiBot. Cette solution unique de décarbonisation du roulage avion doit être déployée par les opérateurs aéroportuaires car elle implique une zone de déconnexion, le retour des machines via les service roads en collaboration avec l’ATC, et surtout le pooling (partage des machines) pour garantir la neutralité des coûts en compensation du surcoût de main d’œuvre lié au chauffeur du tracteur qui reste à bord.

L’aéroport de Schiphol est à ce titre en avance, grâce à une bonne compréhension de cette problématique et à une réelle volonté de décarboner leurs opérations au sol. L’objectif est de déployer une centaine de TaxiBots à AMS d’ici 2030.

Quels sont vos plus grands défis pour la prochaine décennie ?

Les pilotes ont vraiment envie de réduire l’emprunte carbone de l’aviation – ils sont ouverts et promoteurs de toutes les solutions de réduction de celle-ci. Nous mettons en place des systèmes qui leur permettent de communiquer et les rendent maîtres de nos solutions.
Un frein se trouve dans les process des compagnies aériennes – ces dernières ont longtemps fonctionné en achetant des machines et en les utilisant peu ou mal. Ce changement au sein des compagnies aériennes reste notre principal défi alors que des solutions à coût négatif existent, mais nous constatons qu’elles sont désormais beaucoup plus ouvertes aux évolutions.

Pour le reste, l'avenir immédiat – au-delà de la décarbonation – et principalement pour des questions de risques et de pénibilité aux personnes c'est probablement la rotation au sol à une personne sur un court courrier et deux sur un long courrier : avec un tracteur à bagage autonome, un chargement automatique sur les dolly, le loader qui monte et charge automatiquement…

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